Mohamed,
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Je me rappelle de tout. Du jour où tu es venu nous chercher, du trajet, de la négociation à l'entrée de ce parc absurde de cactus, de la musique dans ta voiture sur le chemin du retour, de toi de dos que je regardais comme un inconnu. Puis le soir je t'ai envoyé un message lapidaire pour te donner rendez-vous. Nous sommes partis voir Agafay. Je m'attendais à rien de spectaculaire mais en arrivent j'ai trouvé ça beau. Je ne sais toujours pas si c'est parce que tu faisais parti du paysage. Nous sommes descendus de la voiture, j'ai demandé l'autorisation de marcher devant moi et tu as marché avec moi. Je me rappelle des barbelés. Puis nous avons pris la pose pour la photographe; tu étais à ma gauche, grand. Je regardais mon amie nous photographier et je sentais ta présence à mes côtés comme un aimant. J'aurais rêvée de me blottir contre toi à ce moment-là. J'y ai pensé et en y pensant je me suis dit que c'était une folie. Plus tard nous nous sommes arrêtés pour prendre un thé. Nous étions assis cote à cote et j'ai senti ta peau contre la mienne, j'étais à l'aise. Nous sommes rentrés de nuit, puis il y a eu l'incident. Quand j'ai pris ta défense, je savais que je ne me trompais pas.
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Le lendemain nous nous sommes revus à Majorelle. Tu te rappelles, nous étions les derniers dans le jardin, l'heure de la fermeture avait sonné depuis un certain temps déjà et nous n'avions rien vu. En sortant nous sommes allés prendre un dernier verre. Sur le trajet je me suis arrêtée pour acheter quelques cacahuetes, le comptoire était haut pour moi. Je me suis mise sur la pointe des pieds pour payer. Toi tu étais de l'autre côté de la rue avec mon amie. J'ai senti ton regard sur moi. Je me suis sentie la femme la plus belle du monde à ce moment-là.
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Le lendemain nous nous sommes quittés à l'aéroport. Je t'ai enlacé puis tu es parti et tu t'es retourné. Depuis que je suis loin de toi, ton absence est très douloureuse et il ne passe pas une minute sans que je pense à toi.
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Ma vie n'est pas facile depuis un an. En début d'année dernière j'attendais un bébé mais les choses se sont mal passées et j'ai perdu l'enfant. Cela a fragilisé mon couple. J'ai quitté mon ancien travail pour faire quelque chose qui m'épanouit; c'est un retour à zéro et cela est angoissant. Aussi, je suis fille unique et je dois m'occuper seule de mes parents qui vieillissent. Les voir perdre leurs capacités et vieillir dans le malheur m'affecte beaucoup. Dans toutes ces épreuves, Dieu t'a mis sur ma route. Tu es un soutien immense pour moi. Quand tu m'écris, quand je te vois, quand j'entends ta voix, cela m'apaise, je me sens en sécurité.
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J'aime notre complicité, notre faux-rythme, notre pudeur et notre envie de bien faire. Ton calme, ton aplomb, ton sérieux, ton intelligence, ton empathie, cela saute aux yeux. Derrière tant de retenue et de distance appparente j'ai vu tes fragilités, tes tracas et ta sensibilité immense.​ Est-ce vraiment toi ou est-ce l'image que je me suis faite de toi ? Je ne sais pas car tu es cet étranger que j'ai l'impression de connaître depuis toujours.
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Je suis quelqu'un de compliqué, comme toi je crois. J'ai rencontré Romain à l'âge de 15 ans. Cela fait maintenant 13 ans que je vis avec lui et je ne l'ai jamais trompé. J'ai décidé de faire ma vie avec lui, de l'épouser, je l'aime, et je ne veux pas lui faire de mal. Si je t'écris tout cela c'est parce que je t'aime aussi et que cette situation est intenable pour moi. Je déteste être dans la dissimulation avec les gens que j'aime et je suis une piètre menteuse. Même si je cache nos échanges, mon attitude me trahit. et je culpabilise de nous avoir mis tous les trois dans cette situation.
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J'ai envisagé mille scénarios possibles toute seule dans ma tête mais je n'arrive pas à me décider. Bien sûr, je n'attends pas de toi que tu me dises quoi faire, mais ce que tu ressens pour moi et ce que tu penses de tout ça, cela fait partie de l'équation et influencera ma manière d'agir. Tu m'as déjà dit être serein avec la situation; est-ce vraiment le cas ou dis-tu cela pour ne pas créer de problème ? Je mets peut-être trop d'enjeu dans tout ça et si tu n'as pas envie de répondre à cette lettre, ne t'en fais pas je comprendrais totalement.
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Si je t'écris tout ça c'est que j'ai une confiance inébranlable en toi, prends-en soin.​
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WASHIGA